Mon Premier Festival

Il est 15h05 et un véritable chant guerrier s’élève des rangs de la longue file d’attente presque exclusivement féminine bien alignée devant le panneau « FOSSE » en plein cagnard dominicain. Je me demande ce que je fais là et je me souviens : l’alternative à cette journée entière entourée de groupies pré-pubères (c’est l’idée que je m’en fais) est un énième samedi enfermée dans ma chambre à glander sur Internet.

15h30, nous sommes enfin rentrés dans le stade olympique où aura lieu le festival, avec une scène unique mais très impressionnante. Je range mon billet acheté une heure plus tôt 1700$RD (au lieu de 1500 au tarif officiel) dans la poche arrière de mon short en jean et en fait ainsi ma seule possession puisqu’on m’a fortement déconseillé d’apporter quoi que ce soit d’autre sous peine de me le faire voler. Même pas quelques pesos puisque, si vous avez bien suivi mes tribulations dominicaines, ma carte bancaire est bloquée suite à la tentative échouée d’une personne malveillante en Corée du Sud de s’en servir à ma place.

18h, le festival va bientôt commencer. Notre petit groupe composé d’amis de M. (la jeune étudiante en médecine qui vit avec la même famille que moi) quitte l’ombre protectrice des grandes bâches publicitaires de la bière Presidente (organisatrice du festival) pour rejoindre un endroit nettement plus stratégique. On nous a distribué à l’entrée des espèces de bâtons gonflables aux couleurs de la marque, des lunettes imprimées du logo du Ministère du Tourisme (un style très audacieux à ne conseiller qu’aux fashionistas les plus avertis), un joli bracelet jaune pour les plus de 18 ans indiquant en gros « Nous ne vendons PAS d’alcool aux mineurs de moins de 18 ans » et un petit éventail rond, paré des deux sponsors les plus importants de l’évènement (la bière Presidente, donc, et le Ministère du Tourisme). La foule brandit tous ces instruments-là en l’air, criant au moindre signe de vie provenant de la scène –les ingénieurs et techniciens son et lumière n’ont jamais dû se sentir aussi populaires.

18h40, je viens d’assister à une heure de salsa chantée par des messieurs aux vestes pailletées toutes plus discrètes les unes que les autres (dans l’ordre : dorée, rose fushia, bleue, argentée, noire –toutes ont fini dans le public), la chemise ouverte jusqu’au nombril –indécence ! Six danseuses viennent régulièrement se tortiller autour d’eux, et leurs costumes, quoi que tous très différents par leurs coupes et leurs couleurs, ont cela en commun qu’ils mettent tous en valeur leurs fesses musclées par un charmant string à faire pâlir d’envie Cindy Crawford.

18h43. A côté de moi un jeune homme fait les lacets de sa copine.

18h50. Après trois minutes de pub (oui, un couloir de pub ; dans un évènement live, tout à fait) intervient la première chanteuse du festival ! Ce sera toutefois, on me le hurle à l’oreille, la seule. Elle porte pour sa part une combinaison pantalon à sequins comprimant des seins énormes lui arrivant au menton. Je suis très déçue parce que ses danseurs n’ont rien de sexy –ils sont en pantalons évasés et hauts à paillette et ne dévoilent RIEN ! Pas même un bout de torse ou encore des fesses joliment moulées. Je me sens lésée et je suis sûre que je ne suis pas la seule (le public est très majoritairement féminin).

19h15. Elle a troqué pour un duo (et pour montrer que c’est une femme forte et qu’elle ne revient pas dans les bras de son ex, ce bâtard qui l’a trompée et qui voudrait maintenant la récupérer), sa combinaison robotique pour revêtir une robe très inspirée du costume de Xena la Guerrière. Message reçu 5/5 ! J’entends derrière moi une plainte sur « ces féministes » qui ont « toujours le besoin de se faire remarquer. »

19h30, je suis trempée de la tête aux pieds. On a troqué la salsa pour un son plus électro, ambiance rave party latino. A côté de moi se démène une fille qui a décidé que l’espace personnel est un concept inventé de toutes pièces par les lobbyistes automobiles pour décourager les citoyens d’utiliser les transports en commun et, en militante convaincue, aura passé une bonne demi-heure à me pousser avec ses fesses et à se coller dans mon dos sans aucun complexe. Je me demande à nouveau pourquoi l’asociale que je suis a décidé de venir ici. Je ne me le demande pas longtemps, cela dit, car pour éviter que les rythmes endiablés et les déhanchés féminins décomplexés ne chauffent trop l’atmosphère, voilà qu’on arrose le public avec d’énormes tuyaux d’arrosage. Sur le moment c’est un régal et j’apprécie de constater que malgré ma tête de chien errant sous la pluie, je reste nettement plus jolie qu’elle, qui ne ressemble désormais plus qu’à un genre de yaourt (elle portait un t-shirt blanc). Oui, j’ai la vengeance basse.

19h40. C’est malin, du coup maintenant j’ai froid. Et j’ai envie d’aller aux toilettes. Opération aller-retour rapide, je croise les doigts pour ne pas faire la queue.

22h, je ne les ai toujours pas retrouvés. J’ai toujours froid, mes vêtements n’ont pas séché. J’ai pu aller aux toilettes et ai remercié le ciel qu’il n’y ait pas eu de lumière sans quoi le visuel accompagné à l’odeur m’aurait probablement retourné l’estomac en plus de me vider la vessie. Aussi, j’ai faim et je n’ai pas un rond pour m’approvisionner aux délicieux stands Papa Johns ou auprès des nombreux vendeurs ambulants qui sillonnent la fosse désormais complètement remplie et intraversable à qui voudrait y rentrer (en revanche, tout le monde s’écarte pour laisser sortir ceux qui en ont besoin). Daddy Yankee commence son show (qui durera une heure et demie) par « Gazolina » et personne dans cet immense stade ne semble fatigué d’entendre encore ce tube de l’été 2004. Pas même le roi du raggaeton lui-même qui pourtant, à cinquante ans passés (il n’en fait même pas trente) aurait toutes les excuses du monde pour refuser de la chanter encore une fois.

23h. Après avoir piqué un somme au service des Urgences (parce que vraiment, je me les pelais trop et ça devenait insupportable) et été témoin de l’arrivée au pas de course de trois équipes simultanées pour des comas éthyliques, j’ai retrouvé un des couples du groupe s’étant éloigné parce que mademoiselle est agoraphobe (nous autres festivalières aimons bien les défis).

Minuit. J’assiste au plus beau feu d’artifice que j’ai vu de ma vie. Cinq minutes non-stop de couleurs, de bruits, de lumières et de magie. Et quelques smileys. Le tout accompagné d’une bonne part de pizza et suivi vingt minutes plus tard d’une heure trente de concert de Bruno Mars. A noter : le cri hystérique de la groupie prépubère se confond très facilement avec le hurlement de détresse d’une victime d’agression –plusieurs membres de la sécurité se sont fait avoir.

1h. Bruno est extraordinaire. Il est mignon (une petite recherche Internet plus tard, mon avis là-dessus a radicalement changé), maîtrise un déhanché absolument fabuleux et verse même une petite larme lors d’une chanson sur son ex (dont on devine qu’il est encore amoureux). L’empathie est forte et étant pour la première fois entourée d’une foule aussi énorme et chargée d’émotions, je ne résiste pas. Moi aussi je t’aime Brunooooooo !!!! Il termine son show par un solo de batterie (mon coeur bat la chamade), un léger strip tease (mon imagination s’enflamme) et une humilité feinte mais terriblement sexy –le stade entier est venu le voir mais il termine par « by the way, my name is Bruno Mars » comme si on ne le savait pas (épouse-moi et je croirais à tous tes mensonges s’ils sont aussi joliment dits, c’est promis).

2h47. Après plus de quarante minutes à attendre dehors qu’un taxi vide arrive jusqu’à nous dans le flot de jeunes personnes regagnant leur habitation, on s’entasse enfin à huit (oui, huit) dans la voiture. Plus le chauffeur. Deux sur le siège passager, six sur la banquette arrière dont deux sur nos genoux.

4h14. J’ai terminé de rédigé cet article, je me suis prise en photo avant de prendre ma douche et je vais me coucher. Depuis mon arrivée ici c’est sans doute mon premier sommeil véritablement mérité !

Crédit photo : © Adelythe Wilson
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