Noces Funèbres

ATTENTION ! Ce récit comporte des mentions de violences psychologiques et de féminicide.

Elle était belle. Elle était froide. Comme pour beaucoup dans le quartier, le coup de foudre avait été immédiat. Mais alors que les autres se contentaient d’admiration passive, ses viscères à lui avaient parlé : il l’épouserait Elle, et personne d’autre et ainsi ils vivraient heureux et auraient beaucoup d’enfants. Il parvint à l’émouvoir et d’amants d’un soir ils devinrent réguliers puis se mirent rapidement à parler d’exclusivité. Les jours s’annonçaient beaux et longs et nombreux, il était ravi. Il l’aimait à la folie. Son port de tête altier, Son petit air hautain, Ses mimiques dédaigneuses lui étaient toutes plus charmantes les unes que les autres, tant qu’il avait la certitude qu’Elle l’aimait en retour au moins autant que lui.

Puis vint le jour tant attendu du mariage, une petite cérémonie sans prétentions (elle n’avait plus de famille, lui n’avait jamais eu d’amis) dans laquelle il avait placé un très grand symbolisme, la pierre d’angle de sa vie. Mais au moment des voeux, Elle, dont il n’avait jamais douté de la sincérité des sentiments ne serait-ce qu’un court instant, ne sut rester droite et Son regard flancha. Son « je le veux » fut adressé au carrelage froid de l’autel. Malgré tout, très vite Elle reprit contenance et le regardait à nouveau comme avant, dans les yeux, avec la même tendresse des jours passés.

Mais il était trop tard. Le voile s’était déchiré et son courroux grondait déjà en lui, noyant leurs longs mois d’idylles dans les flots tourmentés du mensonge et de la trahison. Tout lui apparut enfin limpide. Les regards concupiscents des autres hommes dans la rue, auxquels (il en était sûr) Elle répondait favorablement. Les murmures à leur passage, chaque fois qu’ils se tenaient la main. Les regards amusés lorsqu’ensuite il sortait seul… Elle ne l’avait jamais aimé. Elle n’avait fait que jouer la comédie. Elle n’avait jamais été et ne serait jamais complètement à lui.

Or, si Elle ne pouvait lui appartenir, alors Elle n’appartiendrait à personne. Sitôt la cérémonie terminée, les nouveaux mariés se retirèrent dans le silence de leur nouvelle maison. La porte refermée, dans le confinement de leur intimité dont Elle l’avait dépossédé par ce regard fuyant, sa colère et sa rage se déchainèrent sur Elle. Un accès de lucidité dans son délire lui intima l’ordre de La maintenir physiquement intacte. Il lui serra le cou avec Son voile jusqu’à le lui briser, sans ciller.

La légende dit qu’Elle se serait enfuie, ne supportant pas le carcan du mariage. Certains disent qu’Elle s’est prise d’angoisse sociale et vit recluse dans les quatre murs de Sa chambre. La plupart cependant ont oublié qu’Elle avait un jour existé. Elle occupe désormais à Elle seule le large compartiment d’un congélateur dont le vrombissement continu remplit la cave de leur maison, dans laquelle plus personne ne se rend. Elle est belle quand elle dort. Et froide.

Crédit photo : @ Ludovica Anzaldi
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